Dr. Maurice KOLSKY
La vente d'une collection exceptionnelle _ plus de 4.000 monnaies sur les deux derniers siècles de notre numismatique seulement _ est un événement hors norme. Nous avons donc rencontré le Dr Kolsky, dans son grand bureau clair aux murs recouverts de livres, un puissant ordinateur clignotant sur la table de travail, feuilletant les huit cents pages d'épreuves _ 4.000 photos _ du catalogue de vente de sa collection, à paraître prochainement.
Dr. KOLSKY, quand et comment avez-vous commencé votre collection ?
Le déclic s'est fait il y a fort longtemps, en 1957, alors qu'une boulangère me rendit dans la monnaie une fausse pièce de 100 francs Cochet.
J'avais suivi des cours de métallurgie aux Arts et Métiers et le contact du métal de la pièce m'a surpris : tout est parti de là.
Mais à quel type de monnaies vous êtes-vous intéressé à partir de ce moment-là ?
La pièce de 100 francs a guidé l'intérêt que j'avais pour le système décimal et surtout pour la Révolution Française qui a créé et mis en place ce système décimal, mettant fin à une anarchie certaine dans les monnaies, les poids et mesures.
La découverte des différentes monnaies, valeurs faciales, ateliers et types, m'a mis sur la piste des événements historiques qui avaient été à l'origine de leur création, m'a incité à étudier de plus en plus près ces monnaies, leurs histoires et l'Histoire. C'est ainsi que j'ai commencé ma collection de monnaies de la Révolution. J'ai recherché de la documentation et n'ai trouvé à ce moment-là que le « Victor Guilloteau », le fameux « VG », seul ouvrage existant à l'époque sur ce thème. J'en ai fait mon livre de chevet ! Depuis, le Gadoury et le FRANC sont venus simplifier les recherches des collectionneurs, mais il faut imaginer l'époque héroïque où nous ne disposions que de cotes faites en 1941 !
Je n'imaginais surtout pas à l'époque le nombre de directions que prendrait ma collection.
Quand vous décidez de rassembler pour une valeur faciale donnée toutes les années et ce dans tous les ateliers, dans des états de conservation convenables ou supérieurs, dignes d'une collection, vous pouvez imaginer les difficultés mais aussi les bons moments passés avec les amis, dans les clubs et les associations, à comparer, admirer, discuter, échanger !
Bien sûr, vouloir réaliser une collection globale oblige souvent à recueillir des exemplaires qui ne sont pas neufs, ni même superbes _ mais je n'ai jamais considéré que l'émotion, le souvenir et le témoignage historique que représente une pièce devaient passer par un état de conservation exceptionnel. J'ai plus de vingt pièces qui sont les seuls exemplaires répertoriés lors des pointages du FRANC . Je n'allais pas en discuter la conservation .. D'une manière générale, le fait que des monnaies soient bon marché est une bonne chose : cela permet à plus de débutants de s'intéresser à la numismatique.
Je me suis aussi dirigé vers les erreurs de frappe, les non-percées, les variétés, les bizarreries comme les monnaies éducatives ou les monnaies satiriques. Chaque fois, j'ai réuni un ensemble convenable mais, bien entendu, le fonds de la collection est le franc, de 1795 à nos jours, tous ateliers et dates inclus, où tant Victor Gadoury que l'équipe du Franc sont venus étudier, comparer, répertorier ..
Votre collection n'est-elle pas une référence non seulement pour les frappes courantes, mais aussi pour les essais ?
Lorsque j'ai plongé dans le monde des «essais», j'ai fait preuve d'une totale candeur. Il est surprenant de voir le nombre d'essais nécessaire avant d'arriver à un type définitif !
Au cours de cette période de recherches, j'ai pu aussi acquérir, lors d'une vente aux USA, une grande quantité d'essais parfaitement inconnus (même du Musée de la Monnaie), c'était une occasion unique ! Peu à peu, j'ai réuni des concours quasi-complets, regroupé des essais de fabrication introuvables, bref complété à ma mesure le tableau extraordinaire que forment les essais français.
Je pense que peu de collectionneurs ont obtenu de tels résultats mais le mérite ne m'en revient pas entièrement : encore une fois, cette collection ne serait pas ce qu'elle est sans tous les amis qui m'ont conseillé, aiguillé et encouragé à mes débuts.
Il serait aujourd'hui extrêmement difficile, voire impossible, de réunir une telle collection. Les objets de collection ne sont pas reproductibles et, au fil des ans, nombre disparaissent, d'autres s'oxydent, s'abiment et les concours finissent dépareillés, incomplets, perdent leurs boîtes .. De plus, si les essais sont encore très peu collectionnés, le nombre d'amateurs augmente régulièrement et j'espère que le catalogue de ma collection créera de nouveaux collectionneurs spécialisés dans ce domaine merveilleux. Dans cet esprit, quelle est la trouvaille qui vous a apporté une grande satisfaction ?
C'est la découverte d'une pièce d'essai de la 20 francs Guiraud du type définitif daté 1951. Après des recherches, j'ai appris que c'était une commande de 29 pièces d'un ministre de la 4e République et, pour une raison inconnue, 28 furent cisaillées. Il reste la « mienne » !
Avez-vous été conseillé dans l'organisation de votre collection et comment êtes-vous arrivé à votre stade de connaissance ?
J'ai vite compris que l'on n'est intelligent que de l'intelligence des autres, et que la connaissance, en numismatique, dépend de l'échange et de la communication avec les autres collectionneurs.
En y réfléchissant, j'ai suivi trois voies :
D'abord en créant une association de collectionneurs et non une société savante, avec quatre camarades, organisant des réunions mensuelles avec causeries, une bourse (l'ancêtre du « Novotel ») au début des années 1970. À partir de cette action, la plupart des associations ont vu le jour, ainsi que les bourses en France.
Il y a plus d'un quart de siècle que nous avons mis sur pied la Fédération Française des Associations Numismatiques (FFAN). Elle regroupe plus de 120 associations qui ont, en autres, pour objectifs l'étude des monnaies et la diffusion du savoir.
De plus, il était difficile d'avoir une compréhension globale historique et économique du monde de la monnaie sans recourir à la consultation d'ouvrages universitaires et sans suivre un cursus en faculté. J'ai donc passé un DEA d'économie et ai soutenu une thèse en 1977 : les émissions monétaires de la France Libre, de la France Combattante, de la France Libérée.
Enfin, sans ouvrage et sans article dans la presse, rien n'est possible. Pour faire avancer la science numismatique la diffusion des savoirs est nécessaire.
C'est pourquoi, grâce à la compétence et l'aide d'amis très passionnés, nous avons créé l'Information numismatique et, pour la FFAN, «le Franc», tous deux hélas ! disparus ainsi qu'une collection de livres pour l'étude du papier-monnaie, qui connaît aujourd'hui un succès certain. Les pièces coloniales ont eu une édition de la SNPR en 1974 ainsi que les essais de la Métropole et d'Outre-mer de 1942 à 1972 avec Bernard Favier.
Pourquoi avoir décidé de mettre un terme à cette collection ?
Je n'aurai qu'un mot : place aux jeunes ! Bien sûr, il reste toujours quelques monnaies qui pourraient venir, ici ou là, compléter une série, toujours de nouveaux essais qui ressortent des vieilles collections . il vient simplement un moment où il faut savoir poser la loupe et refermer les plateaux pour disperser auprès des nouvelles générations ce qui m'a donné tant de plaisir à rassembler.
Pourquoi avoir choisi ce mode de vente par catalogue ?
Arrêter de collectionner ne veut pas dire perdre tous sentiments pour quarante ans de recherches, de dépenses et d'efforts . Quarante ans de souvenirs et d'amitiés . Pour garder un souvenir d'une collection, quoi de mieux qu'un catalogue avec toutes les descriptions, les photos : grâce à cette vente, j'aurai le livre de ma collection !
Comment voyez-vous l'avenir de la Numismatique ?
Le problème n°1 est la formation de nouveaux numismates. Aux USA, il existe des parutions, comme le Coin Weekly qui est proposé chaque semaine en 90 à 100 pages ! Par semaine ! Il est nécessaire de donner au plus grand nombre possible de lecteurs des journaux, des études, des ouvrages généraux. L'expérience nous a montré que les futurs collectionneurs, aveuglés par le choix restreint qui leur est proposé, ont du mal à découvrir «LE» moment historique de leur préférence, celui dans lequel ils réaliseront une collection exceptionnelle. Internet réalisera-t-il ce rêve ? En conclusion : comme nous l'avons vu, la numismatique procure les mêmes plaisirs que l'ascension des hauts sommets de l'Himalaya, mais on ne peut y accéder qu'en cordée.
Interview réalisée par André Duchemin.
* publié avec l'autorisation de l'auteur et de Numismatique et Change (n° 298, octobre 1999)
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