MONNAIES X
ARGENT ET OR : LES SURFACES D'ORIGINE

Comprenons-nous bien : je n'ai pas l'intention d'expliquer au lecteur ni ce qu'il faut collectionner, ni comment il faut collectionner. Chacun collectionne ce qu'il veut, comme il veut et a le droit parfaitement légitime de payer n'importe quoi n'importe quel prix.... Je ne cherche donc pas à donner des leçons de collection mais simplement des indications précises aux lecteurs qui ont dans leur collection ou veulent acquérir des monnaies en états de conservation exceptionnels. Que faut-il regarder ? Quels sont les aspects normaux d'une monnaie neuve ? Nous verrons dans un article ultérieur les surfaces qui ne sont pas normales, comment les repérer ainsi que les problèmes à éviter.

Les monnaies en états de conservation exceptionnels peuvent parfaitement être dans la collection de Monsieur Tout-le-Monde : une 5 francs Semeuse 1960 Fleur de Coin, une 2 francs 1920, une 25 centimes Louis Philippe, ne sont ni rares ni chers mais le soin qu'il faut apporter au choix de l'exemplaire de votre collection est le même que pour un écu de Napoléon Ier : le métal est le même et les techniques de frappe sont pratiquement identiques. Il n'y a aucune raison d'avoir une 5 francs Semeuse 1960 avec des petits chocs ou le pli de la robe usé quand on peut avoir, pour actuellement presque le même prix et un peu de soin dans le choix, un exemplaire en FDC 65.

QUE FAUT-IL REGARDER ? LES SURFACES !

Si les diamantaires cherchent à la loupe les défauts dans l'intérieur de leurs diamants, les numismates doivent vérifier à l'œil et à la loupe que les surfaces des monnaies neuves sont d'origine et ne doivent rien aux petits malins....

L'HISTOIRE D'UNE MONNAIE NEUVE

L'aspect de la surface d'une monnaie neuve est déterminé par l'état du coin qui l'a frappée. La surface peut exister avec toute une gamme de variantes car elle suit l'évolution de l'état du coin.
Lorsque le coin est neuf, toute sa surface, plats et creux (qui deviendront les reliefs) sont parfaitement lisses et sans aucune aspérité : la monnaie frappée va donc avoir une surface parfaitement lisse et uniforme, pas de mat sur les reliefs ni sur les champs. On peut comparer ce type de frappe à celui d'une médaille ou d'un jeton frappé en toute petite série.

Les flans mats
Il existe des techniques qui permettent d'obtenir sur des coins neufs l'effet " mat " et qui consistent schématiquement à " sabler " le coin (projeter du sable dessus pour provoquer une très légère abrasion générale de surface qui va donner le " mat " à la frappe. C'est cette technique qui est utilisée pour fabriquer les monnaies en " flan mat " comme les premières années des Semeuses en argent ou des 20 francs Coq.
L'effet " champs miroir/reliefs mats " se fabrique en polissant les champs d'un coin sablé : les creux du coin et donc les reliefs de la pièce restent mats alors que les champs vont devenir miroirs. C'est la technique utilisée pour les frappes modernes en BE ; on peut renforcer cet effet en polissant le flan qui va être frappé. Ceci se faisait dans l'ancien temps en utilisant pour cela un brunissoir de bijoutier. C'est le mythique " flan bruni " de la première moitié du XIXe siècle.
Jusqu'à très récemment, personne ne se préoccupait de " fabriquer " des pièces à surfaces spéciales, elles se faisaient naturellement. C'est le goût des collectionneurs, privilégiant certaines apparences de pièces, qui a conduit les ateliers monétaires à créer des techniques imitant ces effets de champs miroir, de velours de frappe....

Ces surfaces spéciales se créent naturellement, comment ?

Reprenons notre coin tout neuf, parfaitement brillant et lisse sur toute sa surface et ses creux. Il commence d'être utilisé et de subir des chocs extrêmement violents chaque fois qu'un flan est frappé et une monnaie fabriquée. A chaque frappe, le coin subit une micro-déformation qui, répétée des centaines de fois, altère sa surface et y forme de microscopiques ondulations. Ces ondulations se reportent sur le flan et produisent des monnaies dont la surface est de moins en moins lisse et brillante et de plus en plus couverte de velours au fur et à mesure des frappes successives. Le processus passe par une progression lente qui fait intervenir un autre phénomène : le lustre.
Plus les champs de la monnaie se couvrent de velours, d'abord presque invisible puis de plus en plus épais jusqu'à donner un effet mat, plus la lumière qui se réfléchit dans les champs subit une déformation et devient diffuse. Il existe bien des lustres différents, le plus souvent en barre dans le plan du champ, parfois en croix, ce que les américains appellent le " Cartwheel luster ", le " lustre en roue de chariot ". Bien entendu, un lustre bien visible et lumineux est rare.

Pourquoi tout ceci a-t-il une importance ?

Parce que la combinaison de tous ces facteurs liés à une conservation exceptionnelle produit des monnaies extraordinaires. Quand vous en montrez une à un amateur, il fait " Ah! " et se demande si, finalement, il ne devrait pas faire fondre l'exemplaire de sa collection personnelle et collectionner des capsules de Coca. J'exagère, bien entendu, mais pas tout à fait. La collection d'Ed Trompeter, l'une des plus belles collections américaines passées récemment sur le marché et visible sur Internet à http://www.heritagecoin.com/FeaturedCollections/trompeter/Trompeter.html, se compose uniquement de monnaies d'or américaines en qualité Épreuve, la moins belle étant en Fdc65 : on en arrête de respirer quand on découvre les monnaies... il faut dire que la collection, une centaine de pièces seulement, a été vendue 15 millions de dollars... soit une moyenne d'un million de francs la monnaie.
Encore une fois, personne n'est obligé de collectionner des monnaies en états de conservation exceptionnels... mais quand on décide de le faire, il faut savoir pour bien acheter....

Reprenons les aventures de notre coin qui a maintenant frappé plus d'un millier de fois et se trouve couvert de ces microscopiques ondulations qui produisent le velours de frappe. Les monnaies produites sont désormais mates, le coin peut être en plus sali, il est alors retiré pour être repoli et nettoyé. Ce polissage ne concerne que les champs : impossible d'aller polir les creux du coin qui se sont pas accessibles sans abîmer les détails. Seuls les champs vont donc être polis et redevenir lisses et brillants.
Les monnaies frappées immédiatement après la remise en service vont donc avoir des champs lisses et miroirs alors que les reliefs seront mats puisque le velours de frappe continue de s'y former. C'est l'une des phases où les monnaies sortent naturellement de l'atelier en flan miroir comme les BE le font aujourd'hui artificiellement.
Le processus va recommencer avec de nouveau la formation de micro-ondulations dans les plats du coin qui vont former le velours dans les champs de la monnaie, puis de nouveau polissage du coin par l'ouvrier monnayeur... et ainsi de suite jusqu'à la mort du coin.
Celle-ci peut advenir brutalement, rapidement ou lentement, marquant dans chaque cas les monnaies produites d'une manière particulière.

La mort brutale du coin : il casse complètement et d'un coup. Je n'ai jamais vu de monnaie frappée au moment où un coin casse.... mais il faut supposer que l'aspect doit en être plus que bizarre.

La mort rapide du coin : il se fêle et une fissure d'abord toute petite commence de s'élargir. Nous voyons souvent des monnaies avec des cassures de coin. Celles-ci sont faciles à repérer et à différencier des rayures : la trace de cassure de coin est en relief (puisque la fissure est en creux dans le coin) alors que la rayure est en creux sur la monnaie. Compte tenu du nombre de coins utilisés pour les émissions monétaires, il est très difficile de trouver deux exemplaires avec la même cassure de coin. On y arrive beaucoup plus facilement sur les jetons, où l'on réussi à suivre l'évolution de la cassure de l'unique coin utilisé. Sur les émissions très bien étudiées par un numismate, la description est toujours faite. Le Docteur Sikner a suivi par exemple l'évolution de la cassure de coin sur la A.E. Oudiné et montre que ce qui est une minuscule fissure presque invisible au début s'élargit et s'allonge, frappe après frappe, pour arriver au moment où le coin est mis au rebut. Bien évidemment, on ne répare pas un coin, on en change...
Je ne connais pas encore de collectionneur français étudiant l'évolution des cassures de coins sur les monnaies françaises mais c'est un sport très pratiqué aux Etats-Unis. Les pièces américaines avec cassure de coin sont recherchées et l'exemplaire avec la cassure de coin la plus longue connue pour cette monnaie précise vaut beaucoup plus cher qu'un exemplaire normal. Ces différences atteignent des sommets pour les bronzes alors qu'elles sont souvent moins importantes pour l'argent et faibles sur l'or.
Parmi les nombreuses demandes de renseignements que nous recevons journellement nous avons même eu celle d'un collectionneur américain qui venait d'acquérir un écu de six livres conventionnel avec une cassure de coin et qui nous demandait simplement les références du livre étudiant les cassures de coins sur les écus conventionnels.... Il a fallu lui expliquer que l'étude des monnaies françaises n'en était vraiment pas encore arrivée à ce degré de sophistication....

La mort lente du coin est simplement l'usure... le coin est passé lentement du " fleur de coin " où tous les détails sont aigus, au coin normal à la qualité de frappe standard pour terminer par le coin " mou " où les détails s'estompent. Dès que l'ouvrier monnayeur estime que le coin est trop mou, il le retire et le détruit.

On comprend donc que l'aspect d'une monnaie neuve ou presque neuve, dont la surface d'origine est conservée, est infiniment variée puisqu'elle peut avoir été frappée à n'importe quel moment de l'usure du coin et de ses polissages successifs. N'oublions pas qu'une monnaie a deux faces, est donc frappée par deux coins, donc avec toutes les combinaisons possibles de coin d'avers et de revers, l'évolution des coins ne se faisant pas à la même vitesse entre pile et face. Quand on rajoute en plus les variantes de patine, on peut presque considérer sérieusement l'hypothèse de collectionner une seule monnaie dans tous ses états de frappe.

Pourquoi le velours de frappe est-il important pour le collectionneur ?

Parce qu'il disparaît au premier choc, au premier frottement, au premier contact, fusse entre deux monnaies dans un bac à l'atelier. Il est donc le " marqueur " infaillible de l'état de la monnaie. Bien évidemment, il commence par disparaître sur les points les plus hauts, les lauriers des empereurs, l'arcade sourcilière, les rebords des feuilles de chênes ou de laurier du revers, la pommette. Il finit de disparaître entre les lettres de la légende, là ou il est le mieux protégé. Entre les deux, toute la distance qui sépare le 64 du 55, bref du " presque Fleur de Coin " au " Petit Superbe " pour reprendre la terminologie floue....

Pourquoi le lustre donne-t-il une prime à la monnaie ?

Parce que, comme le flan miroir, le lustre donne une vie et un caractère presque unique à la monnaie et que beaucoup de collectionneurs sont sensibles à tout ce qui donne un caractère unique, irremplaçable, incomparable à une monnaie d'exception.... Très fragile, il se voit encore jusqu'à l'état SUP 55, et se fond ou disparaît plus bas dans les petits chocs de plus en plus nombreux et surtout dans le frottement qui élimine complètement le velours, source du lustre.

Pourquoi la qualité de la frappe est-elle importante dans les hauts états de conservation ?

Aucune importance, quand vous regardez un écu de 5 francs de Charles X en TTB 30 de distinguer parfaitement ou non les favoris : de toute façon, ils sont usés... En revanche, sur un SPL 64, avec son velours presque intact, quelle déception d'avoir les favoris mal sortis à la frappe ! Par voie de conséquence, une monnaie bien frappée touchera toujours le cœur et donc le portefeuille des collectionneurs avec plus de " force "....

Que faire ?

Regardez les monnaies, au fur et à mesure vous apprendrez à distinguer les qualités de frappe, le lustre, la poussière qui s'en va à l'eau et la corrosion qui ne part pas, bref vous apprendrez à voir mieux que ceux qui ne regardent plus ou n'ont jamais regardé (sauf les étiquettes).
Achetez une loupe sérieuse, de préférence une oeilleton grossissement X10 car si vous n'avez pas de loupe, ceux qui cherchent les mêmes monnaies que vous en ont une, eux.
Regardez les pièces sous une bonne lumière, évitez les bourses caverneuses où l'on ne distingue déjà pas le millésime de la monnaie, sans parler de la qualité de sa surface.
Faites jouer les pièces dans la lumière, c'est le meilleur moyen de repérer les petits chocs, les manques dans le velours (petits points brillants en contraste du mat du velours), les traces de brossage qui ont laissé de minuscules lignes parallèles, d'apprécier le lustre éventuel.
Comparez les différents exemplaires, faites vous l'œil, demandez des explications, prenez votre temps et réfléchissez tant que vous n'êtes pas sûr de vous.
Visitez les bourses (bien éclairées...) et les professionnels sérieux.
N'hésitez jamais à payer un prix "jamais vu" pour ce que vous n'aviez jamais vu auparavant. Il y a toutes les chances que vous ne revoyez pas de sitôt, si vous revoyez un jour.
Ne ratez jamais les présentations de monnaies en ventes sur catalogue : vous aurez rarement l'occasion de voir autant de monnaies réunies.

Et fuyez les "Bonnes Affaires " présentées d'une manière évidemment alléchante : elles sont excellentes, mais pour le vendeur, pas pour vous.